Sandrine Martin de la marque Sand & Roza
Il est temps d’ouvrir une discussion nécessaire. Une conversation honnête, tendre et exigeante à la fois. Car si nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux à vouloir consommer local, soutenir nos créateurs afro-descendants et porter avec fierté des marques qui nous ressemblent, une dissonance persiste dans la manière dont nous les consommons.
Les marques Black Owned, qu’elles soient basées sur le continent africain ou dans la diaspora, font souvent face à un double standard. D’un côté, nous exigeons d’elles l’excellence absolue : des coupes impeccables, un service client irréprochable, une livraison rapide, un packaging de luxe et des prix accessibles. De l’autre, nous acceptons sans sourciller qu’un Zara, un H&M ou un Asos nous envoie un article mal taillé, emballé dans un plastique générique, avec un délai de retour incertain. Pourquoi ?
Ce que nous pardonnons aux géants du prêt-à-porter, parfois même avec humour, devient soudain inacceptable quand il s’agit d’une marque fondée par une créatrice afro ou un designer émergent. Comme si l’attente d’une perfection artisanale venait justifier nos critiques, nos commentaires acerbes, parfois publics, souvent brutaux.
Récemment, cette réalité a fait l’objet d’un coup de gueule très franc et salutaire sur Instagram. Sandrine Martin, co-fondatrice de la marque Sand & Roza, l’a exprimé avec cœur et clarté sur son compte @ivorysandy225. Elle rappelait combien il est difficile de tenir une marque, d’y mettre tout son amour, toute son énergie, tout son argent parfois, pour se heurter ensuite à des exigences qui frôlent parfois l’injustice. Et surtout, combien cela peut décourager les jeunes marques à continuer de proposer des collections accessibles, pensées pour un porté au quotidien.
Or, ces marques Black Owned que nous admirons tant ne bénéficient pas encore des économies d’échelle, ni des chaînes logistiques mondiales ultra-huilées de leurs homologues occidentaux. Elles fabriquent souvent en petites séries, avec des marges réduites, des équipes limitées, un amour immense pour leur métier et une attention personnelle à chaque cliente. Parfois, la fondatrice répond elle-même aux DM à minuit, le dimanche…sans répit et avec passion. Cela vaut-il moins que la livraison express d’un géant du retail ?
Oui, les marques Black Owned ont aussi une responsabilité. Celle de professionnaliser leurs processus, d’améliorer les finitions, de soigner les coupes, de proposer des silhouettes durables, confortables, adaptées aux morphologies diverses de leurs clientèles. Celle de penser au packaging, non pas nécessairement luxueux, mais beau, propre, pensé. Le storytelling ne fait pas tout : il faut que le produit suive.
Mais ces améliorations ne peuvent se faire que si nous leur laissons l’espace pour croître. Pour tester. Pour se tromper. Pour recommencer. Nous devons apprendre à les accompagner avec bienveillance, comme on soutient une pousse fragile qui deviendra un arbre solide. Car c’est aussi ça, être un consom’acteur engagé.
Et si nous voulons un jour que ces marques nous habillent au quotidien, avec des pièces de qualité, stylées et abordables, alors soutenons-les avec la même patience que nous avons pour des enseignes internationales qui ne nous voient pas. Achetons leurs pièces, offrons-les, portons-les fièrement, critiquons-les de façon constructive. Encourageons-les à proposer plus de basiques, plus de collections accessibles. Ce cercle vertueux commence par nous.
Acheter une marque Black Owned, ce n’est pas un acte militant. C’est un acte d’amour.
Et l’amour, quand il est sincère, sait aussi attendre, guider et célébrer.