credit photo d’illustration : Wendy turner
Je m’appelle Maïssa. J’ai 38 ans. Et je vais avoir un enfant.
J’aurais aimé que cette phrase sonne comme une victoire. Une joie. Un soulagement.
Mais aujourd’hui, elle me brûle les lèvres.
Je suis mariée depuis dix ans à Malik. Un homme tendre, brillant, drôle. Métisse lui aussi, à la peau dorée comme du miel. Ensemble, on donne une image parfaite. L’élégance, l’harmonie. Deux êtres aux teints lumineux, toujours bien mis, toujours souriants. Mais l’image ment. Moi aussi.
Parce qu’en réalité… je ne suis pas réellement métisse.
Je suis une femme au teint noir. A l’origine, une femme au teint très foncé, intense, magnifique autrefois. Mais voilà… j’ai commencé à me dépigmenter à 19 ans.
Au début, c’était par « jeu », par curiosité, pour « éclaircir un peu ». Puis c’est devenu un réflexe, une addiction. Une dépendance. J’ai changé de pharmacie plus souvent que de parfumerie. Chaque tube, chaque mélange, chaque lotion est devenu un rituel. Et puis j’ai rencontré Malik.
Il m’a aimée telle que j’étais… du moins, telle que je lui paraissais.
Je n’ai jamais eu le courage de lui dire. J’ai toujours remis à plus tard le moment de vérité.
« Un jour, je lui dirai. Quand on sera plus solide. Quand il m’aimera encore plus fort. »
Mais le temps a filé. Dix ans déjà.
Et aujourd’hui, je suis enceinte. Et j’ai peur. Peur que ce bébé porte ma vérité sur sa peau.
Qu’il vienne au monde avec le même teint noir profond que moi… et que Malik comprenne tout.
Je n’ai jamais été aussi terrorisée.
Comment lui expliquer ?
Comment lui dire que je lui ai caché l’essentiel : moi. Mon corps. Mon héritage.
Comment lui dire que je n’ai jamais cessé de me maquiller la peau, chaque matin, comme on cache une honte ?
Et comment affronter son regard, s’il découvre que celle qu’il aime depuis dix ans n’a jamais été entièrement elle-même ?
Je me sens lâche. Et fatiguée.
Et en même temps… ce bébé m’offre une chance.
Une chance de renaître.
D’arrêter.
J’ai envie d’arrêter. Pour lui. Pour moi. Pour nous.
Mais je sais que le retour à ma vraie peau sera brutal. Mon corps est fatigué. Mon mental aussi.
La dépigmentation est une prison, et chaque jour, je repousse les barreaux.
Ce que je vis aujourd’hui n’est pas seulement une grossesse. C’est une crise existentielle.
Qui suis-je ? Qui suis-je prête à devenir ? Et à quel prix ?
Je n’ai pas encore toutes les réponses.
Mais je veux écrire cette histoire.
Pour qu’une autre femme n’attende pas dix ans.
Pour que la honte change de camp.
Ma peau n’était pas un défaut. C’est le monde qui l’a salie dans mon regard.
Mais aujourd’hui, je veux dire à toutes les femmes qui me lisent : ne laissez jamais le regard des autres vous priver de votre vérité. Votre peau n’a pas besoin d’être modifiée pour être digne d’amour.
Elle mérite juste d’être aimée. D’abord par vous.
