Partie 2 — Ces femmes africaines dans ces métiers d’homme

Suzanne Claudia NGANE

Précédemment …

Dans l’article précédent, nous avons établi, en nous basant sur de nombreux domaines, que dès l’enfance, les filles sont confrontées à des idées reçues qui influencent leur orientation professionnelle. Ainsi que leur confiance en elles dans certains métiers perçus comme masculins. Surtout dans des domaines encore très stéréotypés tels que le sport, où le genre limite encore la place des femmes. Ce manque d’exposition réduit leurs opportunités de progression, de reconnaissance mais aussi de financement. Bien que les évolutions récentes montrent un changement progressif des mentalités. Ils sont soutenus par des initiatives visant à promouvoir une plus grande inclusion des femmes dans ces secteurs. Il est maintenant question pour nous d’étendre notre analyse à d’autres domaines et rencontrer des femmes qui luttent au quotidien contre les stéréotypes.

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Statistiques et tendances actuelles

Contrairement aux idées reçues, les femmes africaines contribuent grandement à la vie économique de leur continent. Selon un rapport de la Banque Mondiale publié en 2023, le taux de participation des femmes à la population active en Afrique subsaharienne est de 62,5 %. Ce chiffre est relativement élevé comparé à d’autres régions du monde, mais cache cependant des disparités importantes. Publié en 2022, le rapport Women and Men in the Informal Economy : A Statistical Picture de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) révèle qu’en Afrique subsaharienne, environ 89 % des femmes actives travaillent dans l’informel. L’intégration aux professions plus formelles est entravée par des stéréotypes de genre et des obstacles systémiques. Elles sont également largement sous-représentées dans les industries technologiques et mécaniques, ou encore les sciences et l’ingénierie. Ces métiers souvent considérées comme des « métiers d’homme », qui sont parallèlement ceux où la demande de main-d’œuvre qualifiée semble plus forte.

Prenant cela en compte, en 2018, la Banque Mondiale mettait sur pied au Bénin le Projet Emploi des Jeunes (PEJ). Ce projet avait pour vocation de former 3 500 jeunes, dont une moitié de filles, à obtenir leur certificat de qualification professionnelle dans des métiers masculins au Bénin – le bâtiment, la réparation automobile, etc. Conscientes des préjugés qui entouraient leur choix de carrière, les jeunes apprenantes du programme se disaient cependant ravies d’apprendre à faire un métier non encombré où les chances de trouver un travail était en théorie plus élevé que dans les filières classiques réservées aux femmes. Plus récemment au Sénégal, en début 2024, Dakar Mobilités, l’opérateur de la flotte Bus Rapid Transit (BRT) a approché des jeunes dames à l’école de conduite où elles passaient leur permis voiture pour être ni plus ni moins que les conductrices de ces fameux bus électriques qui desserviront Dakar et ses banlieues. Fières de faire changer les mentalités, les 22 femmes stagiaires retenues ont passé leur permis D, puis ont suivi des cours de théorie et de pratique sur les bus, accompagnées de leurs encadreurs. L’objectif de la compagnie pour la fin d’année étant d’avoir une cinquantaine de femmes au volant. Des actions qu’on peut aisément qualifier de bon en avant loin des préjugés et des idées reçues qui ont longtemps minées des professions accessibles à tous, hommes comme femmes. 

Elles nous rapprochent de nos rêves …

©GoFundMe

En 2018, Mattel – marque de jouets dont l’une des plus célèbres est la poupée Barbie – lance pour les soixante ans de Barbie le Barbie Dream Gap Project. Ce programme a pour mission de combler le fossé des chances en remettant en question les stéréotypes de genre. Tout en aidant à éliminer les préjugés qui empêchent les filles de réaliser leur plein potentiel. Le projet soulève le manque de représentativité féminine dans certains métiers qui donne aux jeunes filles l’impression que ceux-ci ne sont pas faits pour elles. Une dure réalité qui façonne à tort les idéaux de bien de jeunes filles à travers le monde, réduisant ainsi leur potentiel très souvent sous exploité, au silence le plus complet avant même l’âge adulte. 

Mais qu’en est-il en Afrique ? Et bien, la représentativité compte encore plus de ce côté du globe. « J’ai la chance d’avoir une mère ingénieur et c’est certainement un point important à noter parce que ça m’a permis de toujours savoir que c’était possible, que je peux tout faire. » nous révèle Suzanne Claudia NGANE, 26 ans, camerounaise, Ingénieur de Génie Civil. Actuellement en service au Port Autonome de Kribi où elle suit les travaux d’extension du quai ainsi que plusieurs projets de génie maritime. Aspirant à un métier plus littéraire au collège, les tests psychotechniques en décideront autrement, et aujourd’hui elle déclare fièrement à qui veut l’entendre « mon métier c’est de construire ». Et après sa mère, c’est à son tour de ‘représenter’, d’où sa fierté d’avoir été désignée par sa hiérarchie pour présenter le projet de construction de l’extension du port au Ministre de tutelle.

« Etant la seule femme et la plus jeune de l’équipe projet, c’était la première fois que par ma compétence j’avais la place qui me revient et ce n’est que le début d’une belle aventure ».

Les statistiques données par l’ordre national faisant état de 6% de femmes exerçant comme ingénieur de génie civil au Cameroun, nous comprenons très bien son enthousiasme à poser les jalons pour la génération future. 

Objectif terrain : elle capture l’action !

Au fil des années en Afrique, les femmes dans le sport, on a pu en citer, car elles ont su s’imposer de la plus belle des manières. Mais si l’on vous demandait de vous éloigner légèrement du terrain, juste de quelques pas, que répondriez-vous ? Lors des compétitions, une multitude d’appareils photo capturent chaque instant pour nous faire vivre notre passion de plus près, sauriez-vous citer un nom ?

« Le métier est clairement plus homme. Je suis photographe sportive depuis très peu de temps donc je ne pourrais pas donner un avis général sur l’évolution. Mais je reste persuadée que les femmes sont de plus en plus intéressées par ce métier »

Diane DOMKAM, jeune française d’origine camerounaise de trente-cinq ans, elle est sur son temps libre photographe sportive freelance, « Un métier très physique et psychologique, où tenir la pression n’est pas toujours évident ». Passionnée de football depuis le bas âge, elle fréquente stades et parle de football dès qu’elle en a l’occasion – plateaux radio, vidéos, et depuis peu, la photographie ; son baptême de feu se fera d’ailleurs à la CAN 2021 au Cameroun. Et depuis, sur son palmarès figure fièrement la CAN 2023 en Côte d’ivoire, où elle a pu couvrir une quinzaine de matchs. De son expérience du métier en tant que femme, le plus gros challenge et sa plus grosse opportunité est selon elle le fait d’être une femme.

« Challenge parce qu’il y’a très peu de femmes photographes sportives et c’est très vite intimidant de se retrouver entourée d’hommes. Mais, le fait d’être femme ne me freine pas, au contraire. Je trouve que les hommes photographes du moins ceux que j’ai côtoyé jusqu’ici sont très protecteurs et m’ont toujours aidé à progresser. C’est surtout la timidité qui peut des fois être compliquée à gérer. ».

Rétablir les corps, briser les préjugés

Pour terminer notre tour de ces profils de femmes africaines exerçant les ‘métiers d’hommes’, nous avons décidé de nous intéresser à une des branches les plus physiques du domaine médical, la kinésithérapie.

« Sur le terrain, certains sont sceptiques quand ils voient une femme, d’autres vont jusqu’à douter de l’expérience ou du savoir-faire. Sans parler des patients hommes pudiques qui sont souvent un véritable frein à leurs propres soins » — NGAH Géraldine, jeune camerounaise de 26 ans, kinésithérapeute donne le ton dès ses premiers mots.

Si elle s’est orientée vers la kinésithérapie à cause de la flexibilité dans l’exercice du métier – C’est un métier qui peut s’exercer n’importe où et n’importe quand ; elle a fini par se trouver une autre motivation, « Le fait de permettre à quelqu’un avec un handicap ou une infirmité de pouvoir trouver l’usage de ses membres est une de mes plus grosses fiertés à chaque fois ». Mais, les choses ne sont bien évidemment pas faciles tous les jours, tant à cause des préjugés auxquels elle fait face, que des efforts physiques requis au quotidien,

« C’est un métier physique donc étant femme il y a des tâches qui sont difficiles comme la marche d’une personne tétraplégique, la manutention et d’autres tâches rigoureuses. Les actions sont limitées car l’on considère que la femme est un sexe faible. »

D’autant plus que, comme pour tout métier physique, les hommes sont plus considérés, et ceci de la formation à l’inclusion sur le terrain. Mais, on note une évolution plutôt positive, avec de plus en plus de femmes présentes dans les formations, ce qui risque de changer le cours des choses.

Quelles perspectives pour l’avenir ?

Lorsqu’on porte un regard plus global sur la situation en Afrique, la situation reste quelque peu critique. Mais avec des perspectives d’amélioration portées par l’État ou des organismes internationaux. Par exemple, le Ghana a, en juillet 2024, adopté une loi pour atteindre la parité dans les postes de décision de la fonction publique en 2030. Mais aussi inciter à une égalité progressive entre les hommes et les femmes au sein du secteur à travers un parterre de mesures incitatives. On peut également parler du programme des Centres d’excellence africains pour l’enseignement supérieur (CEA), lancé en 2014 et financé par la Banque Mondiale. Son objectif premier étant de développer les qualifications supérieures en sciences, techniques, ingénierie et mathématiques, il attire de plus en plus d’étudiantes car « les sciences n’ont pas de genre. » comme le dirait Sally, une des bénéficiaires du programme. 

En conclusion, qu’elles soient ingénieures, footballeuses, kinésithérapeutes ou même photographes sportives, les parcours de ces femmes sont la preuve que, les hommes et les femmes de cette génération ont le devoir de laisser les jeunes filles rêver, et les accompagner sur le chemin de leurs rêves. Plus important encore, que la crainte d’exercer dans un métier où elles sont sous représentées ne devrait en aucun cas les retenir. 

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